AYLA & EMILE

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— Un ami nous a présenté… par ordinateur. Je me faisais passer pour Française, mais je suis Turque. On a commencé à dix heures du soir, on a fini le lendemain à cinq heures. Je suis tombée amoureuse tout de suite, sans le voir, avant même de recevoir sa photo. Le lendemain en rentrant du boulot, j’ai couru à mon ordinateur pour voir s’il était là. Il était là, il m’attendait. Trois semaines après, je suis partie à Ankara. Il fallait que j’aille le voir. J’ai menti à tout le monde et je suis partie en Turquie. Je lui ai fait une surprise… On s’est retrouvés dans un café. Je l’ai reconnu tout de suite. Il n’est pas comme les autres mecs, il est tout doux. Il me regardait, il n’y croyait pas. Moi je tremblais. Il a mis son bras autour de mes épaules, puis il m’a embrassée. Mais quand on est sortis du café il ne me tenait pas par la main…

— Elle avait l’air triste…

— Je n’ai pas compris pourquoi il ne me prenait pas par la main. Mais j’étais sûre qu’il allait me proposer de l’épouser. Sûre. Et c’est ce qui s’est passé. Pour moi c’était clair dès le premier soir. C’est étrange, je l’ai aimé avant de le rencontrer. On se connaissait juste intérieurement.

— Je la trouvais… comment on peut dire… sucrée ? Elle était… jolie… intelligente… très drôle. C’est moi qui lui parlé de mariage en premier. Mais il fallait que ses parents acceptent. Alors on a attendu. J’avais peur de ses parents… Je craignais de faire une faute.

— C’était la guerre à la maison. Ce qui embêtait mes parents, c’était qu’il soit Azerbaïdjanais. Il a la même religion que nous mais ma mère voulait un Turc. Et je ne pouvais pas me marier avant mes sœurs. Je suis le vilain petit canard : je n’écoute personne ! Je suis pour la révolution féminine. Mes parents ne voulaient pas de lui, alors je mangeais à part. Seul l’amour me tenait debout. J’aurais pu vivre sans me marier mais ma famille n’aurait jamais accepté. Je voulais vivre à Paris. Je suis Turque mais je me sens Française. De cœur et d’âme. Pour vivre à Paris, on devait se marier, avec l’accord de Dieu et l’aval des prophètes… L’imam m’a posé trois fois la question. J’ai dit « Oui. Oui. Oui !!! » J’ai toujours rêvé de porter une robe de mariée. En fait on s’est mariés quatre fois.

— Religieusement dans les familles, puis à la mairie, puis avec tous les amis, puis à Paris. Je n’aurais jamais pu vivre en France sans le visa.

— Notre amour est fort. Le mot « divorce » est banni de notre vocabulaire. Et Paris est la plus jolie ville du monde. C’est là que nous voulons être. Paris est une ville tolérante, accueillante. Je n’enverrai pas mon cercueil en Turquie !

© Gérard Uféras