ULKER & UFUK

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— Notre rencontre ? On n’a pas du tout la même version…

— Elle m’a arrêté dans la rue…

— Non. C’était dans une soirée, je fumais une clope dehors. Je vois trois mecs style cow-boy qui se la jouaient. Je les ai insultés en turc. Quelques jours après je l’ai retrouvé sur un site Internet. On a discuté. Il m’a donné son numéro de téléphone au moment où je balançais le mien. Je ne savais plus comment il était.

— Grosse menteuse ! Elle avait vu ma photo. Elle voulait me rencontrer au plus vite !

— Menteur ! On s’est donné rendez-vous

vers la Nation. Pour boire un verre.

Il jouait au gros macho. On est allé manger des patates chaudes à la Bastille. Il m’a embrassée. On s’est revu le lendemain, le surlendemain… Plus on se voyait, plus on avait envie de se voir… On se voyait dans la rue, dans nos voitures… Un jour j’ai amené du champagne et des coupes en plastique. 

— Elle m’a fait boire !

— Et voilà, on se fiançait trois semaines après, on s’est mariés six mois plus tard.

— En gros, elle m’a forcé la main. J’ai fait ma demande à genoux devant soixante personnes. La demande aux familles ? C’est passé comme une lettre à la poste.

— C’est la première fois que j’ai vu mon père avec les larmes aux yeux. Mes parents, c’est mes bras, mes jambes, ma vie. Le jour du mariage, mon grand frère m’a mis mes chaussures, il a mis de l’argent dedans, mon argent porte-bonheur, ensuite il m’a passé ma ceinture rouge et mon père a baissé mon voile. Mon deuxième frère a mis mon voile rouge sur ma tête, pour qu’on ne me voie pas pleurer en partant de chez maman. Une mariée qui pleure, ça porte malheur !

— Ce qui m’émeut le plus ? C’est qu’on ait tout fait tous les deux. On a tout soulevé tout seul. Tout.

— Si tu veux faire un mariage turc, il faut que tu aies les épaules larges. 

— Et ce qu’on veut maintenant, c’est que nos gosses soient débrouillards, qu’ils s’en sortent. Je veux grandir avec eux, vivre avec eux… Et ma fille sera une petite princesse !

© Gérard Uféras